L’avenir est radieux : la censure est enfin abolie.
gillesdavid | 14 mai 2012Tesson : les contradictions de madame Trierweiler
Pouvons-nous nous permettre une bénigne et respectueuse critique à l’adresse de la bientôt première dame de France, dont nous ne contestons pas la majesté, mais que nous venons de prendre en délit de contradiction avec elle-même ?
Nous comprenons parfaitement l’irritation que peut provoquer chez elle le harcèlement dont elle est victime depuis que son compagnon de fortune a été élu président de la République de la part des photographes de presse qui font son siège devant son domicile privé. Hélas, l’insupportable dictature de l’image le veut ainsi. Madame Trierweiler le découvre à ses dépens. Son innocence nous touche profondément. Mais réfléchissons. Elle ne pouvait pas ignorer cette culture, comme disent les parvenus, puisque, durant des années, elle a professionnellement trempé dans la marmite du journalisme. C’est là que l’on s’étonne.
N’aurait-elle jamais feuilleté les magazines, à commencer par celui auquel elle collabore, qui, depuis que la photo existe, consacrent des pages à illustrer par des clichés, tantôt furtifs, tantôt complaisants, les faits et gestes des grands de ce monde. Et d’ailleurs ne se prête-t-elle pas elle-même à ce jeu dont le public est légitimement friand ? Tiens, par exemple, ne figure-t-elle pas cette semaine en page de couverture de Paris Match, où elle affiche son sourire au côté du nouveau président, en ouverture d’un cahier de 64 pages spéciales consacré à la grande geste du héros.
Effigie
Il faudra bien que la présidente s’y fasse, comme s’y sont faites celles qui l’ont précédée, chacune accompagnée de ses symboles fétiches, madame Coty sa soupière, madame de Gaulle son tricot, madame Chirac ses pièces jaunes et Mme Sarkozy sa guitare. Par l’onction du suffrage universel, elle est condamnée durant cinq ans au statut d’effigie, comme l’ont été toutes ces dames. Les reines de France sous la monarchie ne faisaient pas autant de manières. Et qu’elle ne se plaigne pas, elle a sur beaucoup d’entre elles le privilège de la grâce.
Elle bénéficie, en outre, d’un avantage inespéré : la bienveillance, pardon, la dévotion de la presse. Avant même d’exister, elle est en effet immunisée. Son crédit est illimité : elle est à gauche. On compte sur l’objectivité renommée de Marianne et de Libération pour célébrer ses vertus et rappeler à l’ordre, au nouvel ordre moral, les chiens sectaires qui s’en éloigneraient. La presse est libre désormais. Hollande l’a libérée des chaînes dont Sarkozy, sinistre émule de Pétain, comme l’observait judicieusement il y a peu l’un des dignitaires socialistes, l’entravait depuis cinq ans.
On respire enfin, l’air est léger et les journaux sont joyeux. On est rempli d’espoirs. Pour des générations : c’est ainsi qu’on vient d’apprendre que les élèves de l’une des plus célèbres écoles françaises de journalisme avaient dans leur totalité voté pour Hollande. L’avenir est radieux : la censure est enfin abolie.
Par PHILIPPE TESSON